Note de lecture : Pour en finir avec le sida

Résumé

Note de lecture de l’ouvrage de Jacques Leibowitch, Pour en finir avec le sida publié en 2011 chez Plon.

Auteur

Vladimir Martens (Observatoire du sida et des sexualités)

Pour citer ce texte

Vladimir Martens, Compte rendu de l’ouvrage de Jacques Leibowitch Pour en finir avec le sida, janvier 2012.

Pour en finir avec le sida, Jacques Leibowitch, Plon, 2011.

L’objectif de l’auteur, médecin et chercheur spécialisé dans le domaine du sida, est simple : s’adresser à un public non spécialiste pour mettre en question ce qu’il juge être les principales idées reçues à propos du VIH et du sida (ce qu’il appelle des « dogmes » façonnés au début de l’épidémie dans un contexte de peur et d’urgence) et changer ainsi les représentations de l’infection, de la maladie et de l’épidémie. En introduction, il déplore que les « progrès qui ont changé la donne » sur le plan thérapeutique depuis l’apparition des traitements antirétroviraux (ARV) et a fortiori depuis « l’avis suisse »[1] soient généralement méconnus du public, « d’autant que les campagnes d’information et de prévention ont eu tendance à figer leurs préceptes, n’intégrant les modifications proposées par le progrès des connaissances qu’après de longs délais » (page 10). Il critique certaines campagnes de prévention actuelles qui valorisent le seul préservatif, « un moyen de prévention sanctifié » (page 39), et passent sous silence, ou ne mentionnent qu’incidemment, d’autres outils comme le dépistage, le traitement post exposition (TPE) et plus largement tout ce qui rejoint le concept de « traitement comme prévention ».

Afin de donner une image du sida en phase avec la réalité et l’actualité, il se livre à plusieurs mises au point à partir de résultats de recherche récents.

L’auteur revient d’abord sur les origines de l’épidémie – en Afrique et en « Occident » – avant de rappeler quelques mécanismes qui expliquent et favorisent la transmission et, partant de là, les divers moyens de l’éviter et le degré d’efficacité de chacun d’entre eux : du préservatif aux traitements antirétroviraux en passant par des mesures d’hygiène associées à la circoncision. Il fait état des succès – limités – de la recherche sur les vaccins et insiste sur les progrès réalisés dans la mise au point de traitements de plus en plus efficaces, qui ont évolué ces dernières années au point de pouvoir proposer de nouveaux outils dans différentes situations : pour les femmes enceintes afin de ne pas contaminer leur futur bébé mais aussi entre partenaires sexuels. Il rappelle à cette occasion qu’en Suisse, certains tribunaux doivent tenir compte du fait « que les personnes séropositives ne souffrant d’aucune IST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle lorsqu’ils évalue(ro)nt le caractère répréhensible d’une contamination par le VIH (…) » (page 41).

Il bat ensuite en brèche la conception classique du sida, dite « immunomilitaire » (basée sur le déficit immunitaire), véhiculée autant par les premiers discours médicaux ayant amené à l’appellation sida que par la vision profane encore dominante, souvent illustrée par la métaphore du « château fort intérieur » protégé des agressions extérieures par une armée de lymphocytes qui, en cas de sida, se verraient détruits[2]. Vision persistante malgré les échecs des traitements visant à faire remonter le taux de ces lymphocytes, et malgré l’observation d’individus séronégatifs ayant peu de lymphocytes. Ou quand les paradigmes scientifiques dominants empêchent de voir l’évidence, en l’occurrence de reconnaître le rôle joué par l’inflammation dans l’apparition du sida. Au modèle de l’immunodéficience, Leibowitch substitue un « modèle écosystème » centré sur l’analyse des flux de ressources. La forêt comme éco-système devient la métaphore explicative des mécanismes à l’œuvre dans le sida et permet de résoudre plusieurs énigmes sur lesquelles ont longuement buté les scientifiques, notamment les causes de la « maladie de la maigreur » ou cachexie (page 57).

L’auteur nous présente également les résultats expérimentaux prometteurs d’une possible évolution vers des traitements de moins en moins quotidiens, et bientôt discontinus, décomposés en une phase d’attaque suivie d’un traitement de suite. Cette stratégie pourrait s’avérer tout aussi efficace que les actuels traitements continus.

En épilogue, Leibowitch rappelle quelques enjeux actuels à rencontrer pour atteindre une éradication de l’épidémie à moyen terme : le développement du « traitement comme prévention » et l’amélioration des « tactiques » (délocalisées et démédicalisées) et des techniques (permettant une détection de l’infection et une remise de résultat toutes deux plus rapides) de dépistage.

Les quelques éléments d’information et les représentations qu’a l’individu moyen du vingt-et-unième siècle au sujet du VIH et du sida sont pour la plupart hérités de l’ère antérieure à la mise sur le marché des traitements antirétroviraux (dite aussi « ère pré-ARV ») et sont bien éloignés de la réalité du VIH/sida et des avancées thérapeutiques actuelles. À travers cette petite centaine de pages, l’auteur souhaite combler ce retard, apporter des informations actualisées et corriger les représentations erronées ou datées. Comme d’autres scientifiques ou militants, il plaide également pour que le paradigme de prévention intègre le contexte thérapeutique actuel et ses implications dans les stratégies et outils disponibles[3]. Si la recherche médicale transforme les paramètres du risque, pourquoi la prévention ne prendrait-elle pas en compte cette transformation, alors même que certains tribunaux le font ?

« Pour en finir avec le sida » aborde ainsi quelques enjeux cruciaux de la lutte contre l’épidémie d’aujourd’hui à des fins pédagogiques. Si la démarche est plus que louable, et même indispensable, on peut cependant se demander si le style choisi est adéquat. En effet, l’auteur ne s’est pas contenté de commettre un simple ouvrage de vulgarisation. Il y pratique une écriture et un humour très personnels : le vocabulaire châtié et les jeux de mots sophistiqués raviront certains lecteurs, brouilleront toute compréhension pour les moins littéraires d’entre eux, tandis qu’ils en agaceront d’autres. Prenons comme exemple un sous-titre à la page 10 : « Le sida, c’est plus que des défenses immunitaires en moins, et davantage que du virus en trop » ; ou encore : « IRIS, l’oxymore retors » (page 67), et last but not least : « Deux à quatre pilules par jour, deux jours par semaine, et HIVan le Terrible se voit frappé, comme après sept jours de trithérapie en pleines dents… Hachivé ! » (page 115).

Si le contenu de l’ouvrage est essentiel, on peut donc craindre que l’objectif premier de mise à jour vulgarisée des connaissances ne soit compromis par une forme littéraire peu accessible.

[1]

Vernazza Pietro, Hirschel Bernard, et al. (2008), Les personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle, Bulletin des médecins suisses, 89-5.

[2]

Il est frappant de se rappeler que, à partir d’une tout autre grille de lecture et dès 1989, dans son livre « Le sida et ses métaphores » édité chez Christian Bourgois, Susan Sontag avait analysé et critiqué les implicites de ce genre de métaphore : « Mais les métaphores militaires employées pour décrire le sida témoignent d’une stratégie passablement différentes de celles utilisées dans la description du cancer (…) l’ennemi est ce qui provoque la maladie, un agent infectieux qui vient de l’extérieur (…) C’est là le langage de la paranoïa politique, avec sa méfiance caractéristique envers tout monde pluraliste. Un système de défense composé de cellules « qui, entre autres choses, produisent des anticorps pour répondre à la menace » n’est sans doute pas de taille à combattre un envahisseur « obstiné » (…) » (pages 24 et 25).

[3]

Voir par exemple Pialoux Gilles et Lert France (2009), Mission RDRs : prévention et réduction des risques dans les groupes à haut risque vis-à-vis du VIH et des IST, Paris.