Note de lecture : Intimacy and Responsibility. The Criminalisation of HIV Transmission

Résumé

Note de lecture de l’ouvrage de Matthew Weait, Intimacy and Responsibility. The Criminalisation of HIV Transmission, Londres et New York, Routledge-Cavendish, Glasshouse, 2007.

Auteur

Charlotte Pezeril (Observatoire du sida et des sexualités)

Pour citer ce texte

Charlotte Pezeril, Compte rendu de l’ouvrage de Matthew Weait Intimacy and Responsibility. The Criminalisation of HIV Transmission, juin 2011.

Intimacy and Responsibility. The Criminalisation of HIV Transmission, Matthew Weait, Londres et New York, Routledge-Cavendish, Glasshouse, 2007.

L’ouvrage de Matthew Weait, criminologue (Université de Londres), est fondamental pour comprendre les logiques contemporaines qui sous-tendent la tendance récente à la criminalisation de la transmission du VIH. A partir de l’analyse détaillée des procès ayant eu lieu en Angleterre et au Pays de Galles, Weait montre dans quelle mesure la criminalisation des transmissions involontaires du VIH n’est pas une réponse appropriée à la lutte contre le sida et peut même avoir des effets pernicieux. Alors que la Belgique connaît actuellement le premier procès pour transmission sexuelle du VIH, où un homme vient d’être condamné à 3 ans de prison (dont 2 avec sursis) par le Tribunal correctionnel de Huy, il nous semble donc important de bien analyser les enjeux d’une telle situation.

Weait revient dans un premier chapitre sur le contexte épidémiologique, légal et politique qui caractérise le champ du VIH en Grande-Bretagne. Premier étonnement : alors que les HSH constituent 45% des nouveaux diagnostics en 2006, les procès entre personnes de même sexe ne représentent que 2% des cas. Second étonnement : la criminalisation débute après que des traitements anti-rétroviraux ont été rendus disponibles sur le marché (dès 1996) et alors que la politique (nationale, européenne et internationale) de lutte contre le VIH insiste sur les droits des personnes séropositives et la nécessité de contrer les discriminations et la stigmatisation qu’elles peuvent subir. En effet, l’utilisation de la loi criminelle va à l’encontre d’une politique basée sur les droits humains et sur la co-responsabilité des partenaires face au risque du VIH. Après un intense débat en 1997-98 pour modifier la loi de 1861 (The Offences Against the Person Act), le gouvernement décide finalement d’y inclure la transmission involontaire, c’est-à-dire par négligence ou imprudence (recklessness en anglais), des maladies infectieuses. Le premier procès pour transmission sexuelle involontaire du VIH a lieu en 2001 et 14 procès se sont tenus depuis lors (jusqu’en mai 2007), toujours sous le chef d’inculpation de la section 20 de la loi qui stipule : « Quiconque inflige illégalement et malicieusement une blessure ou des lésions corporelles graves à une autre personne, avec ou sans arme ou instrument, se rend coupable d’un délit, et, s’il est reconnu coupable, est passible d’une peine d’emprisonnement »[1].

Dans le second chapitre, Weait détaille un procès : celui de Feston Konzani, un demandeur d’asile originaire du Malawi, accusé par trois femmes de transmission (ou d’exposition au risque de transmission) du VIH et condamné à 10 ans de prison en 2004. Rappelons tout d’abord que dans les procès, l’accusation doit prouver : 1/la lésion corporelle grave, 2/la connaissance de la prise de risque par l’auteur, 3/que cette prise de risque était injustifiée. Sans revenir sur les détails de cette affaire, l’exemple souligne trois éléments importants : la complexité de la prise en compte des relations affectives et sexuelles par la loi, la simplification que cette dernière impose en contraste (coupable/innocent, responsable/irresponsable) et enfin, la délicate et centrale question du consentement des partenaires au risque (Le consentement suppose-t-il une connaissance des risques liés au VIH par les partenaires ? Cette connaissance est-elle suffisante ? Que faire quand l’abandon du préservatif est négocié par les partenaires ? Le consentement est-il automatiquement « vicié » si la personne séropositive ne révèle pas son infection ? Est-ce dès lors assimilable à un viol ? Faut-il dans cette logique obliger légalement les personnes séropositives à dévoiler leur état de santé ? Quid de la séro-ignorance ? etc.).

Dans le chapitre suivant, l’auteur analyse de manière critique la prise en compte du VIH par la justice comme harm, c’est-à-dire « blessure » ou plus précisément comme « lésion corporelle grave ». Il rappelle d’une part, que la transmission du VIH, à la différence des coups et blessures, est invisible, indolore, silencieuse et surtout, en dehors du contrôle ou de la volonté des individus. Elle s’effectue en outre lors d’une relation sexuelle et non par une agression (sauf bien évidemment dans les cas de viols). D’autre part, il souligne qu’en aucun cas les procès ne peuvent se baser sur une preuve scientifique. Bien que l’analyse génotypique (qui établit la différence génétique entre deux souches de virus) soit de plus en plus utilisée dans les procès, elle ne peut pas : 1/déterminer la date de la transmission, 2/connaître la direction de la transmission (si A a transmis à B ou l’inverse), 3/exclure la possibilité d’une transmission par une troisième source. L’analyse génotypique ne peut donc confirmer avec certitude que A a été infecté par B, même si elle peut exclure cette possibilité. Le premier procès remettant en cause la fiabilité de cette analyse a concerné un couple d’hommes (procès Collins en 2006), où l’accusé a été acquitté sur la base d’un manque de preuve : d’une part, un médecin a témoigné en affirmant que l’analyse ne pouvait avec certitude déterminer la source de la transmission et d’autre part, il a été démontré que le plaignant avait été sexuellement actif avec d’autres hommes (et potentiellement des hommes séropositifs). Ainsi le danger est de faire reposer les décisions judiciaires sur l’estimation du nombre de partenaires sexuels, voire sur l’orientation sexuelle et la prévalence du VIH au sein de groupes épidémiologiques définis sur cette base.

Le chapitre 4, le plus théorique, explore les notions de risque et de négligence en lien avec le VIH. Weait reprend les analyses autour de l’émergence d’une « société du risque » au sein de laquelle le risque n’est plus inévitable et au-delà de la volonté individuelle, mais un événement maîtrisable et dont on peut identifier un ou des responsables. Dans le même temps, la modernité n’a pas tenu ses promesses en termes de sécurité physique et ontologique. Ainsi la post-modernité a laissé la place au doute, au scepticisme et à l’anxiété, à une société où l’on a peur pour soi et où l’on se méfie des autres. Dans ce cadre, les personnes séropositives représentent selon lui le « paradigme de l’Autre dans la société du risque et la tardive (ou post) modernité » (p. 129, traduction personnelle). Elles deviennent une menace (invisible de surcroît) pour l’intégrité physique et, surtout, pour la sécurité ontologique, en attestant de la perméabilité et de la fragilité des corps et en incarnant l’immanence de la mort. La construction du sujet/citoyen responsable et autonome renvoie en outre à un « corps délimité » (bounded body) en tant que corps masculin, blanc et hétérosexuel et en tant qu’agent (et non objet) sexuel. A contrario, les corps féminins, noirs et gays qui sont sexuellement actifs seront considérés comme intrinsèquement « risqués » (risky bodies) puisque liminaux, hybrides et donc dangereux non seulement pour le corps physique mais surtout le corps politique.

Enfin, la notion de consentement et ses liens avec la connaissance des risques de transmission du VIH et la divulgation du statut sérologique sont appréhendés dans un dernier chapitre. Deux défenses de procès en appel (Dica en 2004 et Konzani en 2005) ont tenté d’utiliser le consentement des plaignants au risque – puisqu’ils se sont engagés volontairement dans des actes sexuels non-protégés – comme argument invalidant l’accusation. Les Cours d’appel ne l’ont pas entendu ainsi, rejetant l’argument de la connaissance des risques de transmission pour ne prendre en compte que celui de la connaissance de la séropositivité du partenaire. Dans le cas Konzani, la cour estime que « ceux qui ne consentent pas volontairement au risque, mais qui volontairement choisissent de courir le risque, ne peuvent être tenus pour responsables des conséquences de leurs actes » (p. 180). Par ailleurs, « la plaignante ne pouvait donner un consentement informé à quelque chose dont elle était ignorante » (p. 181). La divulgation d’un statut sérologique positif devient ainsi implicitement une obligation de fait (et non légale, à la différence du Canada), alors que l’ensemble des acteurs de lutte contre le sida soulignent la difficulté à révéler sa séropositivité dans un contexte de stigmatisation. Les personnes séropositives deviennent donc les seules responsables du bien-être de leur partenaire, ce dernier n’ayant en retour aucune obligation à assurer sa propre sécurité.

Dans sa conclusion, Weait revient sur l’ensemble de ses arguments en plaidant pour une décriminalisation basée sur le concept de responsabilité partagée. Il rappelle que le modèle individualisé de la faute et de la conduite ignore le fait que le VIH existe au sein de populations et que sa transmission se passe lors d’une relation entre au moins deux personnes. La criminalisation ignore en outre que la personne accusée d’avoir transmis le VIH (ou exposé l’autre au risque de transmission) a elle-même été infectée à un moment donné. L’enjeu est donc d’envisager le VIH comme un fait social et non comme une caractéristique individuelle. Il faudrait pouvoir revenir à la politique de prévention telle qu’elle s’est construite dans les démocraties libérales, où chaque individu est estimé responsable de sa « bonne santé » et où les relations sont régies par le concept de co-responsabilité des partenaires sexuels.

[1]

Traduction personnelle de : « Whosoever shall unlawfully and maliciously wound or inflict any grievous bodily harm upon any other person, either with or without any weapon or instrument, shall be guilty of a misdemeanor, and, being convicted thereof shall be liable (…) to be kept in penal servitude. »